Ecriture(s)

1/ Le théâtre n’est pas l’antichambre de la littérature.
2/ Ce n’est pas l’auteur·rice qui parle, c’est la langue.
3/ L’image que nous avons de nous nous empêche de voir ce que nous sommes en fait.

La question d’écrire au théâtre nous a vite poussé à considérer que nous n’étions pas auteurs, mais plutôt des ré-écrivains, c’est à dire qu’il n’y avait pas d’autre possibilité que de ré-écrire ce qui avait été pré-écrit pour nous.

Au même instant, nous avons comme nécessité de jouer nos spectacles face à des assistances de spectateur·rice·s, de populations, de gens, voire de peuplades. Ce mot n’est choisi par hasard. Il faut leur déposer, adresser, un objet spectaculaire donc.

De ces spectacles, ils-elles en sont les lecteurs. Ils se doivent d’en arracher du sens. Ce sens qui languit. Alors « ça » peut commencer à circuler entre nous tous. Chacun devient, alors, à la marge, un auteur, une autrice de quelque chose. Ce quelque chose en tant que « notre propre poème ».

Écrire, quand on fait du théâtre, est une mécanique obligatoire.
Parce que c’est celle de l’auteur·rice, certes, mais aussi celle du metteur en scène, de l’interprète et de tous ceux qui affrontent la scène comme le lieu des signes, des indices, des symboles, des signifiants, des gestes ou des mythes en mouvements. Et par là, il y a une charge d’irrationnel quand on manie ces écritures pour le regard de l’autre.

Pour ces raisons nous avons toujours vérifié donc, qu’il s’agissait vraisemblablement plus d’une ré-écriture, au cœur de laquelle le dire et le voir se livrent une bataille obstinée.

Dérézo, depuis ses débuts, s’acharne à faire du plateau un creuset de questions tendues pour les écrivains. On y parle de langues, de langages et d’écritures. Mais aussi de sémiotique, de codes, de gammes, de partitions, de styles, de variations ou de contextes.

Nous avons choisi de travailler avec ceux·celles qui écrivent aujourd’hui. C’est-à-dire ceux qui, parce qu’ils sont vivants, posent un regard vivant sur l’époque et ceux qui la vivent. Et ce en acceptant d’abord que la particularité du texte de théâtre réside dans le fait que c’est une écriture trouée dont la première opération sera d’être transformée en parole, oralisée. Et ensuite parce que nous arrivons après tous les autres : nous sommes des « nains sur des épaules de géant ». Les schémas se répètent, et cette répétition nous soumet. À nous, par le travail, de lui faire accoucher d’une nouveauté.

Les compagnonnages avec les écritures d’auteur·rice·s n’ont cessé depuis la création de la compagnie : Stéphanie Tesson, Marie Dillaser, Christian Prigent, Roland Fichet, Gilles Aufray, Ricardo Montserrat, Paol Keineg, Alexandre Koutchevsky, Laurent Quinton, Lisa Lacombe, Marine Bachelot, Jan Fabre, Edward Bond, Juliette Pourquery de Boisserin, Nicolas Richard, Régis Jauffret, Charles Pennequin...

On ne dira jamais assez que « qui parle ment ». Et les idiomes de la scène entretiennent toujours une relation privilégiée au texte donc à la parole. C’est dans cette relation que peut naître une théâtralité de la transversalité. C’est ce qui structure les recherches et les spectacles de la compagnie.

Quand il s’agit de travailler avec des artistes de disciplines très différentes, il faut agencer, rythmer, musicaliser, « syntaxer » la représentation pour qu’elle crache enfin ses possibles : ses inter-dits du dire, mais aussi ses visions. Et ce, donc, collectivement.

Les langages, les écritures, les graphes, les structures sont alors de tous corps : voix, images, vidéos, plastiques, objets, sonores, somatiques, visuels, lumineux, textuels…